Romy Bundren se rendit au Jade Garden dans l'idée qu'il s'agissait très précisément du lieu où elle pourrait tout à la fois apprécier un bon repas, une ambiance délicate et un calme olympien tenant de la discrétion des clients qui s'y rendaient habituellement. Elle n'était pas une personne particulièrement riche et encore moins célèbre mais elle appréciait profiter des plaisirs de la vie, quitte à devoir se priver pendant un mois. En effet, le boulot de sapeur-pompier a beau être honorifique et faire fantasmer les femmes autant que les hommes, il n'est pas un exemple de rentabilité. Aussi, quand elle arriva seule au restaurant, elle comptait bien profiter de chaque instant de cette soirée car chaque dollar dépensé avait été durement épargné. Lorsqu'elle pénétra dons le Jade Garden, la jeune femme était vêtue d'une petite robe noire dont l'ourlet flirtait sans prétention avec ses genoux. Son décolleté en revanche, subtilement généreux, laissait Romy penser qu'elle pourrait user de ce détail si le serveur lui présentait une note trop salée. Faisant claquer avec empressement (due à son excitation à l'idée de profiter d'un tel espace) les talons de ses escarpins, elle arriva devant le maître d'hôtel qui, à l'annonce de son nom, la guida parmi les tables pour l'installer. Idéal : en retrait mais pas trop, Romy allait pouvoir bénéficier du calme recherché tout en étant assurée de ne pas se faire oublier des serveurs. Remerciant son guide, elle prit place et se débarrassa de sa pochette en l'abandonnant à l'autre bout de la table : inutile de préciser que dans ce genre de lieu, les pick-pockets ne sont même pas à craindre. Quel luxe ! Attrapant rapidement la carte, elle ne tarda pas à faire son choix et elle eut simplement à lever les yeux pour voir débarquer un serveur qui prit sa commande avant de disparaître aussi silencieusement qu'il était arrivé. Si Romy mourait ici et maintenant, sûrement qu'elle n'y verrai pas le moindre inconvénient. Un doux sourire aux lèvres, elle tendit son bras vers son sac et en extirpa deux feuilles pliées en quatre ainsi qu'un stylo. Elle s'était commandée un homard, elle avait donc clairement le temps devant elle d'avancer l'écriture de son courrier de la semaine. En effet, la jeune Bundren ne concevait pas l'hypothèse de passer une semaine sans envoyer de ses nouvelles à sa mère. Vieux jeu, puérile ? Et elle assume. D'un clic, elle rendit son stylo opérationnel et fut sur le point d'écrire ses premiers mots lorsque son attention fut attirée par une silhouette qui se tenait gauchement non loin d'elle. Elle ne tarda évidemment pas à reconnaître l'identité de la personne et en un instant, son sourire s'évanouit, remplacé par une expression bien plus crispée. Vainement, elle espérait encore qu'Anderson Caufield-White – aussi charismatique qu'infernal – ne l'ai pas aperçue, bien qu'il regardait fixement dans sa direction. Elle lâcha alors son stylo et glissa sur sa chaise pour se faire toute toute toute petite. D'un geste, elle ébouriffa sa coiffure pourtant nickel, essaya de masquer son visage et se mit à formuler une petite prière pour que son regard dévie loin d'elle. « Je vous en prie, je vous en prie ... »

Et non. Non, Dieu a du se choisir cette soirée pour être auprès des pauvres et des opprimés et ignorer ceux qui jouissent du luxe et de l'abondance. Il n'y avait pas d'autres raisons possibles selon Romy : Dieu ne pouvait l'abandonner impunément, il devait y avoir une bonne raison derrière cela. Peut-être que si elle allumait son Iphone pourrait-elle lire « Miracle absolu : un gorille sauve un bébé malaisien. » Ou encore « Un avion coupé en deux atterrit sans le moindre accroc. » Ouais, ça devait être ça. Parce que comment expliquer autrement cette poisse absolue qui s'abattit sur elle lorsqu'elle comprit qu'Anderson ne comptait pas l'ignorer ? Malgré qu'elle se fut tasser au maximum et qu'elle fit de son mieux pour paraître transparente, cet idiot lui adressa des signes avant de se décider à carrément venir la rejoindre. Son allure apprêtée et pourtant, sa démarche anarchique, le fait qu'il fut installé au bar et son regard sombre indiquèrent clairement à la jeune femme qu'il allait se présenter à elle dans toute sa superbe, à savoir : bourré au mieux, stone au pire. Comprenant qu'elle n'y échapperait pas, elle se redressa avec rage mais fit son maximum pour ne rien laisser paraître. Montrez à Anderson qu'il vous insupporte et vous risquez de vous retrouver avec lui assis sur vos genoux. Lorsqu'il traversa l'obstacle de la dernière chance (le serveur du restaurant censé posséder une certaine éthique!!) avec succès, Romy eut l'envie poignante de cogner son crâne contre sa table. Ce qui la retint ? La crainte de se décoiffer d'avantage.
Tendue comme un string, elle posa ses deux mains sur la nappe blanche finement brodée et fit mine de regarder loin devant elle, refusant de poser la première son regard sur lui, l'ignorant ouvertement. Bien évidemment, sa faible tentative pour le dissuader de s'adresser à elle tomba à l'eau puisqu'il finit par arriver à sa table et lui adressa la parole. Rien que le son de sa voix fit accéléra son rythme cardiaque, sans parler alors des paroles provocatrices qu'il lui balança en guise de complément de salutation. Quel crétin, mais quel crétin ! Levant sur lui un regard brûlant, elle grimaça un sourire avec difficulté et essaya de ne pas lui offrir le plaisir de l'énervement. Elle réussit alors à se contrôler juste assez pour lui répondre avec toute la sympathie qu'elle pouvait posséder à son égard à cet instant. « Je pourrais te renvoyer le compliment, Mr-le-critique-qui-ne-fait-pas-mieux. » Comme pour appuyer ses dires, elle le détailla des pieds à la tête, soulignant sa surprise de le voir dans un tel accoutrement, surtout qu'il se permettait de la juger pour ce qu'il faisait, de toute évidence, lui aussi. Sans rien ajouter de plus mais affichant à présent un air pincé et supérieur, son regard se posa sur son sac à main toujours positionné sur la table, très exactement devant la chaise libre que convoitait Anderson. Son sang se glaça lorsqu'elle réalisa qu'elle était dans une impasse : si elle laissait son sac où il était, il serait tout à fait capable de l'attraper et d'en faire ce que bon lui semblait. Mais si elle le retirait, il serait alors chiche de croire qu'il s'agissait pour lui d'une invitation à s'asseoir. Néanmoins et s'en voulant d'avance, elle fit son choix et d'un geste, attira son sac vers elle pour le mettre en sûreté sur ses genoux avant de présenter au jeune homme, la tête haute, un air méprisant et fier.

La jeune femme arqua un sourcil lorsqu'il lui demanda de ne pas être « si mauvaise ». Est-ce qu'ils s'étaient déjà rencontrés ? Quel idiot de prétendre vouloir obtenir d'elle des réactions plus positives quand tout en lui l'insupportait ! Elle ne lui accorda pourtant aucune réponse et ne mima qu'un sourire forcé plus proche du dégoût que de l'admiration lorsqu'il lui demanda si son allure lui plaisait. Plutôt se damner elle et son chat que d'avouer à Anderson qu'il possédait effectivement un sex-appeal indéniable.
Romy sentit parfaitement que le geste qu'elle avait eu concernant son sac à main n'allait pas passer inaperçu et que, d'une manière ou d'une autre, son « invité » improvisé allait le souligner. Elle n'eut pas tord car Anderson sembla intrigué et ne manqua pas de faire une remarque à ce sujet. Une fois de plus, il ne semblait pas le moins du monde embêté à l'idée de lui poser des questions qui ne le regardait pas mais malgré elle, Romy ne put s'empêcher de serrer ses doigts autour de son sac, posé sur ses genoux. Elle n'était pas nerveuse, non non non … Juste ennuyée. Elle ne pensait pas qu'il oserait bondir sur elle pour lui piquer son sac mais elle le protégeait comme si elle craignait qu'il disparaisse de ses mains, ce qui était absolument idiot et complètement révélateur du peu de confiance qu'elle portait en lui. Posant sur Anderson un regard violent et froid, elle secoua la tête avant de réaliser que ce qui aurait pu faire l'objet de « chose à cacher » se trouvait très exactement devant elle, sur la table. Sa lettre pour sa mère. Virant au rouge, elle retira ses mains de son sac et glissa – de façon qu'elle espérait discrète – son coude sur ses feuilles avant de carrément les protéger de son avant-bras. S'éclaircissant la voix, mine de rien, elle devina qu'il lui fallait faire preuve de plus de malice si elle ne voulait pas que le jeune homme comprenne son manège. Après tout, elle n'était pas aussi discrète qu'elle l'aurait voulu, malheureusement. Avançant alors son buste vers la table, elle se tint plus droite, touchant et jouant avec ses doigts son verre à vin vide, offrant manifestement la vue de son décolleté au regard d'Anderson. D'une voix détachée, elle lui répondit alors en soutenant son regard, de toute évidence prête à tout pour détourner son attention des feuilles qui se trouvaient sur la nappe. « Non, absolument rien à cacher. » Ce qui n'était pas peu dire vu la vision qu'elle lui offrait … Sans laisser le temps au jeune homme de répondre quoique ce soit, elle bouscula d'un geste prétendument confus le verre qu'elle tripotait, le faisant tomber lourdement au sol mais sans le briser, en grande partie grâce à la moquette impeccable qui recouvrait le sol. « Oops ! », laissa-t-elle échapper avec une expression de fausse surprise.
Allez mon coco, ramasse ce verre en gentleman que Romy puisse ranger sa lettre en sûreté dans son sac !