PRIMZEE Sept ans. Leeroy-Dickens. Ce nom ne vous dit peut-être rien ici, en Jamaïque mais dans cette petite ville près de Sydney qui m’a vu naître, les Leeroy et les Dickens sont considérés comme les rois du pétrole, les Ewing de l’Australie. Autant dire que les deux familles rassemblées sont comme… quelque chose d’aussi immense que les Beatles et les Rolling Stones mélangés. Ma mère est une bombe, genre la perfection incarnée. Imaginez la femme la plus belle qu’il vous a été donné l’occasion de voir. Vous y êtes ? Multipliez cela par mille. Ca y est ? Et bien ma mère, elle est au-dessus de cela. Mais n’imaginez pas que je l’idolâtre. Bien au contraire.
« Primzee, aurais-tu l’obligeance de cesser de d’empiffrer de cochonneries à longueur de journée ? ». Elle se sentait toujours obligée de parler comme une aristocrate, à tout le monde, pour se donner un air supérieur. Penelope, ma mère, me gratifia de l’un de ses sourires les plus hypocrites, avant de m’arracher la tartine de Nutella des mains.
« Ah, où as-tu trouvé cela hein ? C’est Rosa qui te l’a donné n’est-ce pas ? ». Penelope vouait une haine sans fin à tout ce qui contenant du sucre, du gras ou du sel, même à sept ans. Autant dire que, chez moi, dans les placards il était hors de question de trouver de la pâte à tartiner. Rosa, c’était ma nurse, comme ma deuxième mère. Une mexicaine qui avait quitté son pays pour venir suivre des études de médecines en Australie et qui, faute de moyens, à trente-trois ans, avait fini comme gardienne d’enfants dans une famille pétée de tunes, la mienne. C’était mon alliée dans cette famille de fous, celle qui me donné des bonbons et du soda derrière le dos de ma mère.
« Chérie, où se trouvent mes clubs de golf ? ». Avec Penelope et son obsession de m’empêcher de manger, il y avait mon père, Thomas. Sa vie ? Le golf. Je crois qu’il a plus pleuré le jour où le chien du voisin a fait ses dents sur l’un des ses clubs que le jour où sa mère est morte. Je sais, c’est moche. « Ta progéniture a encore mangé du Nutella. ». Non, je n’étais pas fille unique, mais Thomas savait pertinemment que sa femme parlait de moi, la bouboule de la famille, la gamine avec dix kilos en trop. Il ne répondit pas, trop occupé par ses recherches. Ma sœur descendit les escaliers à ce moment-là. Sa longue crinière blonde brillait tellement qu’elle m’aurait éblouie. Passant devant un miroir, elle s’arrêta quelques secondes, se contempla et sourit. Printemps, quatorze ans, était une garce, narcissique au possible, Narcisse lui-même en aurait fait une crise cardiaque.
« Elle s’appelle Printemps parce qu’elle est belle comme une rose qui vient d’éclore sous un soleil de printemps. », se plaisait à expliquer ma mère, en français, au bord de l’extase. Moi, Primzee, sept ans, trop petite, trop grosse, trop brune.
PRIMZEE Quinze ans.Je deviendrais mannequin. Ce n’est pas un choix, c’est un devoir. C’est tout. En huit ans, j’ai fondu comme un Mister Freeze sous un soleil de juillet. Mieux que tous les régimes minceurs possibles, mieux que la liposuccion ; ma mère. Je me suis drogué aux brocolis, le chocolat est devenu mon pire ennemi.
« Primzee, c’est l’heure. ». Je me déshabille devant elle, aucune pudeur ; elle sait tout de mon corps, en connais les moindre détails et connais toutes mes fluctuations de poids. Penelope passe son temps à me reluquer de partout, traquant le moindre pet de graisse. Je monte sur l’objet de mes angoisses. Je ferme les yeux et prends une profonde inspiration en attendant le résultat de la balance.
« Plus trois cents grammes. ». Je sais ce que ça veut dire ; entrainement intensif pendant les deux prochains jours. J’en tremble d’avance. Penelope quitte la pièce. Je me poste devant le miroir et fixe et mes yeux. Je souffle un bon coup.
« Prim’, c’est le moment de prendre les choses en main… ». Et comme souvent, je finis accroupie devant les toilettes, deux doigts profondément enfoncés dans ma gorge. Une fois mon petit rituel fini, je me sens bien, vide et belle
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PRIMZEE Dix-sept ans.
« Je te cherchais… ». Allongée sur le sol comme une loque, je lève les yeux vers mon interlocuteur. Je viens de me faire vomir. Il le sait. Je ne me sens plus bien maintenant… je me sens sale, pathétique. Il le sait. Parce qu’il sait tout, Ahèron.
« Qu’est ce que tu veux ? ». Ahèron se pose à côté de moi, le dos contre la baignoire et me caresse les cheveux, pour m’apaiser. « Juste savoir comment ça va. ». Je hausse les épaules et tente de sourire. J’ai maigris, beaucoup trop pour être bien. Selon ma mère, je frôle la perfection. La vérité, c’est que je suis un squelette, les cheveux en plus. Ahèron attrape la photo posée sur le sol, censée me booster. Sur ce cliché, j’ai douze ans et je pose à côté de ma sœur, à l’époque où elle était encore considérée comme la perfection incarnée. Un jour, Printemps est tombée enceinte et a découvert qu’il y avait des choses plus importante que son poids sur Terre. A partir de là, s’en était fini. «
Tu comptes t’arrêter bientôt ? ». Je sais de quoi il parle, toujours le même sujet ; mes troubles alimentaires.
« T’es en train de te détruire tu sais. ». Je le sais. Peu importe. Je jette un coup d’œil à sa montre. Il est l’heure. Je me recoiffe un peu, mets ma robe en place et on part tous deux, main dans la main. C’est mon meilleur ami, comme ma moitié en fait. Sur la piste de danse, je ne vois que lui, peu importe les autres. Je sais que c’est pareil pour lui. On commence à danser, proche, beaucoup trop proche pour n’être que de simples amis. La danse devient chaude, on a bu, trop bu. Ce soir là, on va finir chez-lui, souillant ses draps.
PRIMZEE Vingt ans.
Rien à changé depuis mes dix-sept ans. Notre relation est éternellement la même. Il m’aime, je l’aime. On couche ensemble, souvent, et il est mon meilleur ami. J’ai toujours des troubles alimentaires, mais si maintenant, je ne suis plus poussé par ma mère. Je me fais du mal toute seule, question de classe… ou pas. Je suis devenue mannequin, comme le souhaitait ma mère. Une seule chose à changé finalement, Ahèron. Certes, j’ai affirmé ci-dessus que notre relation était la même, mais depuis quelques semaines, quelque chose à changé. J’ouvre la porte de l’appartement et le trouve, une fois de plus face à son verre de whisky, rempli à ras-bord, à ses côtés, la bouteille, vide au trois-quarts. Je soupire et il tourne la tête vers moi, ne m’adressant qu’un bref regard. Son frère est mort. Son grand frère, son modèle est mort. Il a commencé à boire suite à cela et est devenu comme moi : autodestructeur. Je prends un verre, m’assois face à lui et rempli le verre en question. Ahèron me regarde, incrédule. Il descend la moitié de son verre. Je descends la moitié du mien. Il le fini. Je fais de même. Un, deux, trois verres. Tout tourne autour de moi. Je manque de sucre et je n’ai mangé qu’un quart de pomme depuis ce matin. Je me sens mal. J’ai bien conscience que ce que je fais est idiot mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé de le faire réagir. J’ai bien voulu lui dire que je l’aimais et qu’il devait se battre, pour moi. Mais il n’écoute pas. Je sais qu’il tient à moi plus qu’à sa propre vie… alors, si je mets ma santé en jeu, peut-être qu’il réagira ? Aucun d’entre nous n’a parlé depuis que je suis arrivée, je termine le quatrième verre puis, plus rien.
C’est à ce moment là que j’ai compris qu’il fallait vraiment que je parte, loin. Jamaïque, me voilà.