sidney & avery

Ce matin j’me suis réveillée en étant foutrement contente parce que ma vie à l’instant est nulle à chier. Ce matin j’me suis réveillée en me disant que la situation pouvait pas être pire de toute façon et qu’évidemment, d’autres cons innocents l’ont pire que moi alors j’devrais pas me plaindre, mais merde, après deux, trois ans sans problème majeur, en avoir un maintenant ça me fait chier. Depuis que j’ai bougé d’Oxford à Bristol, et ensuite ici. Ma vie a subi des changements majeurs, des changements que j’ai aucune vu arriver, et c’est ça qui me fracasse. Bien sûr, on va m’dire que j’peux tout contrôler si j’veux bien faire des efforts, mais c’est faux. La vie baise tout le monde sans attendre quoi que ce soit. C’est certainement pas le Destin qui va se foutre à genoux devant nous et demander pardon pour les conneries qu’il nous fait subir, pas vrai ? M’enfin, c’est pas grave, c’est une journée normale t’façon. Y’a pas encore eu d’orage, seulement du désespoir et de la culpabilité. Ça me fait que ça ces derniers temps, mais j’m’y habitue lentement, surtout parce que quoi que j’fasse, j’dois faire face à mes erreurs tous les jours. Tous les putains de jours… J’dirais presque que j’suis courageuse, si j’avais honnêtement le courage de me dire que ça va passer et que l’ambiance d’avant va revenir. « Avery ? » J’suis couchée sur mon lit et j’fixe mon plafond. J’bouge pas, j’fais que me retourner un tant soit peu vers Jaelyn, histoire qu’elle sache que j’suis attentive même si j’parle pas. « Tu comptes me cacher pourquoi t’es aussi déprimante encore longtemps ? » J’souris, ironiquement, et j’me retourne de nouveau dans mon lit. Si les autres venaient à m’voir dans cet état pitoyable, ce serait naze. Arty continuerait d’me poser des questions sans arrêt – parce que non, elle s’arrête jamais – et ça m’énerverait. J’finirais peut-être par lui dire et j’aurais Sid sur le dos encore plus que maintenant. Non merci, j’prends pas cette chance. « J’suis pas déprimante. » Elle soupire assez fort pour que je remarque qu’elle est extrêmement vexée du fait que j’lui cache quelque chose, et qu’en plus j’lui mente tandis qu’elle et moi on sait que c’est pas mon truc. « J’ai même pas envie d’aller en boîte à cause de toi… T’appelles ça comment si c’est pas déprimant ? » Rah, j’déteste quand elle me fait culpabiliser pour les trucs que je l’empêche apparemment de faire à cause de mes humeurs. J’me relève un peu, m’asseyant sur mon lit. J’passe ma main dans mes cheveux et j’croise mes jambes sous ma couette. « Tu veux que j’fasse quoi ? J’t’ai pas attaché à un meuble de l’appart à ce que j’sache. » J’arque un sourcil et affiche une expression tellement sarcastique que Jaelyn lève les yeux au ciel en se retournant. Elle fait un max de bruit pour me faire chier, parce qu’elle sait que j’déteste ça. Même si, ironiquement, j’suis le modèle d’un groupe de musique et que j’manque pas un seul d’leurs concerts.

Étonnement, elle revient à la charge. Moi qui croyais qu’elle allait abandonner, j’me suis gourée. « Tu m’emmerdes, tu l’sais ? » Ça m’fait plaisir d’te voir t’inquiéter pour moi tu sais, parce que j’ai pas de cœur et que j’adore faire souffrir les gens. J’vais en faire une profession, tiens, et j’paris que j’vais m’faire détester de la Terre entière ensuite, ça va être le pied. Le putain de pied ! « Ouais, mais j’y peux rien, désolée… » Elle s’casse pour de bon cette fois. Elle est spéciale, et j’arrive pas tout le temps à la comprendre même après toutes ces années. « BONNE JOURNÉE À TOI AUSSI JAELYN ! » J’finis par me lever de mon lit, effort surhumain. J’me prépare et m’arrange pour pas rester dans l’appart. J’me louerais des films et j’me ferais pas remarquer par Andy, ni Arty, ni Tabitha et encore moins Sidney. Oh, sans oublier que j’ai pas envie de voir la tronche d’Asher, même si j’sais pertinemment qu’il va venir me faire péter un câble en prétendant venir rendre visite à Jaelyn. Il m’croit stupide ou quoi ? Il pense vraiment que j’vais me rabaisser à ses conneries. J’suis pas sa pute, j’suis celle de personne d’ailleurs. Pourquoi j’ai l’impression d’me mentir d’un coup ? J’ai l’impression que tout le monde – sans exception – est au courant pour Sid et moi, et ça me gonfle. Dans la rue, j’marche, les gens m’regardent drôlement, et j’ai l’impression d’me faire juger. J’deviens tellement vulnérable quand il s’agit de White-Lancaster. J’me trouve trop ridicule et ça m’donne envie d’me gifler. Quand j’prends du recul et que j’regarde mes actions, j’me dis qu’en agissant normalement autour de tout le monde ça s’estompe peu à peu, et après bah j’reçois une baffe de la réalité qui me dit que j’peux pas effacer parce que j’espère oublier. J’aurais dû être bourrée comme une merde, j’me souviendrais pas de chaque détail comme les soupirs de Sid, son souffle chaud sur ma peau frêle. Ses mains qui parcourent mon corps et… « Pardon, pas fait exprès ! » J’fonce directement dans une dame âgée. J’continue mon chemin et me réfugie chez moi après avoir loué les films en question. J’croise quelques gens que j’vois d’habitude, de vue. J’les salue vaguement et m’dépêche de retourner m’enfermer dans mon appart. Un endroit où je sais que j’pourrais pas me faire déranger. La journée a passé quand même rapidement, du coup il est presque 20h30. Jaelyn m’a pas appelé, les autres non plus, Asher non plus. Tant pis, j’resterai dans ma solitude à bouffer d’la crème glacée et en m’amusant à m’faire croire que j’vais bien, ça risque d’être génial.

J’suis enfin en dedans, j’ai acheté des cochonneries. Celles que Jae aime aussi, elle se plaindra pas que j’ai pas pensé à elle. J’regarde mon portable et… Merde, j’l’avais fermé. Normal que j’aie rien reçu. Bon, j’me débarrasse de tout ce qu’il y a d’encombrant sur moi et j’suis habillée d’un simple short, un soutien-gorge et une camisole qui recouvre le tout. Il fait chaud dans c’pays, on a – habituellement – jamais besoin de porter grand-chose. J’sursaute quand j’entends quelqu’un cogner à la porte. Si c’est ma coloc et qu’elle a ses clefs j’la tue. Si c’est son connard de frère j’le démembre. Espérer que ce soit Arty serait un peu trop demandé aussi, alors j’vais tout simplement espérer que ce soit un d’nos voisins qui veut un truc complètement inutile et qui a trouvé une raison bidon pour me parler. Sans demander qui c’est – ouais, j’suis dangereuse comme ça – j’m’empresse d’ouvrir la porte. Parce que plus vite je le fais, plus vite la personne se casse. Plus vite j’retrouve le silence alarmant de mon appartement, ma solitude, mes cochonneries, mes films nuls… « Oh putain… Tu fous quoi ici ? »

you say i'm acting naughty but girl you're naughty too

« réveille-toi merde, tu m'écrases, gros con ». Je pourrais me demander pourquoi je continue à aimer une meilleure amie qui me traite de con et d'enfoiré à toutes les trois phrases si je savais pas pertinemment que c'est des conneries en l'air. C'est vrai, je fais tellement n'importe quoi, n'importe quand, sans me soucier des conséquences que j'peux comprendre que la fille qui connait mon CV complet concernant ma connerie peut me traiter de tous les noms du monde. Puis, avec la teuf qu'on a fait hier, c'est normal qu'elle m'en veuille un peu. Je crois que je porte un de ses t-shirt, putain il est tellement ajusté que je me demande comment j'ai pu dormir sans m'étouffer. Je passe la main dans mes cheveux, puis bâille bruyamment « je respire plus, et avec l'air que tu rejettes présentement près de mon nez, j'veux clairement pas de bouche-à-bouche ». Je souris, frotte vigoureusement mes yeux du revers de la main. Je me redresse légèrement, libérant Artemis de mon étreinte. Elle porte un soutif de sport, ça me fait marrer « on s'entend que j'ai déjà trop donné pour ça, t'embrasse comme une vierge d'toute façon ». Je reçois un coup derrière la tête. Ça résonne pendant un moment. Putain de merde, c'est fini pour un moment les comprimés. Au moins jusqu'à ce soir. Tard dans la nuit. Si Tabbie tient à ce qu'on soit complètement partis pour s'envoyer en l'air encore. Encore et encore « putain arty, t'es conne grave ». Elle m'adresse un sourire, puis se lève. Je crois qu'elle marche sur Andy, mais décide de ne pas s'en faire. C'est un spectacle humoristique gratuit et perpétuel de les regarder agir, ces deux-là. Elle ramasse un chandail qui traine. Il y a de la bière de renverser dessus, et un truc que j'identifie pas de loin « t'es bien placé pour savoir que je le suis pas, Sid, non ? ». J'ouvre la bouche et la referme instantanément. C'est ce qu'on appelle frapper en bas de la ceinture, et avec un truc nettement moins marrant que des lèvres entrouvertes...

« Oh putain… Tu fous quoi ici ? ». Je ne sais pas ce que je fous ici. Tout ce que je sais, c'est qu'après la phrase d'Artemis, j'ai eu besoin d'air. J'ai gerbé mon existence sur le patio. J'ai même pas regardé en bas pour voir si ça avait atterri sur la tronche de quelqu'un, tant ça me levait le coeur. J'crois pas que ma meilleure copine réalise la portée de ses paroles, ou si, au contraire, c'est exactement ce qu'elle voulait me rappeler. Je balance le t-shirt dans le vide, tant pis, je crève de chaud. J'allume une clope, que je consume si rapidement que j'dois en allumer une autre. Je fume comme un trou. Je tousse comme un malade, et je gerbe encore. De nouveau. C'est blanc et mousseux. De la bile. Sympa, j'ai déjà les entrailles vides. Je suis resté comme ça à fixer l'horizon pendant un moment, puis je me suis tiré tout bonnement, sans ne rien dire à personne, même pas à Tabbie. Fallait absolument que je souffle, que je foute le camp, que je m'éloigne d'Andy, qui devinerait tout de suite que ça ne va pas du tout. Que j'supporte plus la culpabilité de laisser Arty s'en sortir toute seule avec Andreas parce que je suis pas capable de faire autre chose que d'avoir envie de lui foutre un poing dans sa gueule de mafiosi à deux balles « je.. sais pas. envie de te voir, toi. pas personne d'autre, que toi ». Je déblatère, à demi-conscient. J'aurais pas du descendre la bouteille de Jack Daniel's en solo dans la rue et crier à tue-tête, en espérant que quelqu'un descende pour me la fermer d'un crochet en pleine gueule. Être K.O, ça évite de penser. Être simplement ivre, ça ne fait qu'empirer les emmerdes, parce que ça agit comme un sérum de vérité.

Je n'attends même pas qu'Avy m'invite à entrer que je passe le cadre de porte, non sans m'étaler de tout mon long sur le sol parce que j'me suis pris les pieds dans ses chaussures qui traîne. Je me marre, puis m'assoit, dos contre le mur, puis relevant la tête, un sourire aux lèvres, ce genre de sourire de mec complètement déchiré sur l'alcool, embué, qui semble venir de loin « est-ce que ça t'arrive de... avery? allez, assis-toi, que j'me sente moins dégueulasse... ». Je suis décidément un mauvais compagnon, parce que je me redresse légèrement pour l'attirer, la tirant par le bras, que stupéfaite, elle ne réagit pas, et s'effondre littéralement sur moi. On se retrouve à quelques pauvres et minuscules centimètres l'un de l'autre. Si l'envie de prendre possession de ses lèvres me travaille de manière effrenée, je me fais violence. J'sais ce qui risque d'arriver. Je... peux pas. Même ivre. Pas maintenant. J'ai besoin de parler « désolé pour ça. qu'est-ce que je disais, déjà? t'a l'impression parfois de pas assurer sur toute la ligne? rassure-moi, j'suis pas le seul mec sur la terre à s'auto-flageller en s'insultant avec tête de gland? ». Je sais que mes propos sont décousus, et j'en ai conscience. Faudrait qu'elle soit saoule, elle aussi. J'aurais pas c'complexe d'infériorité qui me ronge. Je sais où elle range ses bouteilles. Je me lève subitement, lui tendant la main « tu veux bien boire ton alcool avec moi? ». Je souris, passant la main dans mes cheveux, mordant ma lèvre inférieure pendant que je regarde autour de moi « il est où, ton mec? j'vous ai pas dérangé pendant que vous vous envoyez en l'air, dis-moi... ». Puis je pose mon regard sur elle pour la première fois, vraiment, depuis que j'ai osé fantasmer sur un baiser. Elle est bandante. Comme toujours. Peut-être encore plus. Quand je m'envoyais en l'air avec Avery, plus rien d'autre existait. Ça gommerait les emmerdes, la honte, l'amertume, d'un coup. Ça marcherait, si seulement je pouvais la faire crier jusqu'à la fin des temps...